Hull

 

La piste se terminait au bas d’une porte qui donnait sur une zone de travaux plongée dans une semi-pénombre. Les matériaux de construction formaient un véritable parcours d’obstacles, entre les piles de Placoplâtre et de bois, les chevalets de sciage, les bâches et les gravats. C’était une pièce pleine d’endroits où se cacher.

Clay pencha la tête de côté, les narines dilatées : il écoutait, il regardait et il reniflait.

Je plissai les yeux pour leur permettre de s’ajuster à l’obscurité et comptai les issues. La plus éloignée, une porte ouverte, donnait apparemment sur un autre couloir.

Une silhouette sortit par cette porte lointaine. Je tapai aussitôt sur le bras de Clay pour rediriger son attention. Il hocha la tête, et on se sépara de nouveau, en s’avançant vers la porte.

J’y arrivai la première et m’arrêtai sur le seuil pour jeter un coup d’œil alentour. Je découvris une silhouette cachée derrière un pan de plastique opaque qui tombait du plafond. Clay se tendit, mais je secouai la tête après avoir inspiré à pleins poumons.

— C’est Nick, articulai-je en silence.

Je m’éclaircis la voix, pour ne pas le surprendre. Zoe écarta le plastique et nous fit signe de les rejoindre. Nick se trouvait accroupi à côté d’elle pour essayer de repérer une odeur.

— T’embête pas, lui dis-je. Elle est partie dans ce couloir. Je la sens déjà.

— Moi aussi, répondit-il. C’est l’autre que j’essaie de détecter.

— On se demandait quand il allait se pointer.

Nick secoua la tête.

— Je ne crois pas que ce soit un zombie. Il ne sent pas pareil…

— C’est parce qu’on ne l’a tué qu’une fois jusqu’ici. Il n’est pas aussi mûr qu’elle.

Clay nous fit signe de nous taire.

— Concentrons-nous sur celui qu’on a déjà et qui est en train de nous échapper pendant qu’on reste plantés là.

On suivit la piste de Rose jusqu’à une porte qui s’ouvrait sur un chantier à ciel ouvert. Le site était désert, quelqu’un ayant apparemment décidé que les événements actuels étaient une raison suffisante pour donner leur journée à tous les ouvriers.

Des bâches claquaient dans la brise, tandis qu’on entendait dans le fond le lointain rugissement des rues de la ville. Clay me tapota le bras et me montra une camionnette de la sécurité garée sur le côté. J’acquiesçai tandis qu’il prévenait les autres.

Zoe secoua la tête.

— Il n’y a personne ici, chuchota-t-elle. Croyez-moi.

Je me penchai pour retrouver l’odeur de Rose et la séparer de toutes les autres. Dès que je l’eus détectée, j’avançai sur le chantier et contournai les piles de matériaux.

Trois mètres plus loin, on tomba sur une flaque quelconque, comme si quelqu’un avait renversé des produits chimiques – par accident, j’espérais. Je perdis la piste, l’odeur de pourriture étant davantage présente dans l’air que sur le sol. Clay et moi, on continua à contourner les tas dans une direction pendant que Nick et Zoe prenaient l’autre.

Je finis par repérer de nouveau la trace olfactive de Rose, mais je ne parcourus que six mètres avant de la perdre derrière des remorques chargées de bois. En me voyant me pencher de nouveau, Clay me fit signe de me relever.

— Tu ne devrais pas te pencher autant. Ça ne doit pas être très confortable. Laisse-moi prendre mon tour.

Il s’accroupit. Au même moment, j’entendis un bruit de pas sur les graviers. Je fis signe à Clay, mais il s’était déjà immobilisé, la tête penchée, pour suivre le bruit. Il empoigna le rebord de la remorque et grimpa dessus d’un bond. Je le suivis, mais pas d’un bond, plutôt avec beaucoup d’efforts.

Le temps que je mette les pieds dans la remorque, Clay se trouvait déjà sur le tas de bois. Il regarda de l’autre côté, puis m’aida à le rejoindre. Tandis que je grimpais péniblement tout en haut, je vis une tête blonde danser derrière un camion. Un homme apparut. Il avait la trentaine, voire la quarantaine, peut-être, et il était petit, même si cette impression était probablement due à la hauteur de mon perchoir.

Il était habillé d’un pantalon décontracté et d’une chemise habillée. Un employé de bureau qui coupait à travers le chantier désert. Puis je remarquai qu’il manquait deux centimètres au bas de son pantalon et que sa chemise était trop large au col et trop longue aux manches. Ces vêtements ne lui allaient pas aussi mal que ceux de l’homme au chapeau melon, mais c’était suffisant pour que j’y regarde de plus près. Mes yeux glissèrent sur une manche trop longue… et découvrirent un couteau à moitié dissimulé dans l’une de ses mains.

— Un zombie ? articula Clay en silence.

J’inspirai profondément, mais il se trouvait sous le vent.

— Impossible à dire, murmurai-je.

Il se trouvait en contrebas – à trois mètres environ. C’était une distance décente pour se positionner pour un saut. Clay s’accroupit. Aucun de nous ne bougea ou ne souffla mot, mais l’homme se raidit et regarda tout autour de lui, puis leva les yeux. Il aperçut Clay avant qu’on puisse reculer.

L’homme pâlit et écarquilla les yeux. Je remuai, et son regard se posa aussitôt sur moi, comme s’il n’avait pas encore remarqué ma présence.

— Oh, Dieu soit loué, murmura-t-il d’une voix douce à l’accent britannique. C’est vous. (Il leva la main pour protéger ses yeux du soleil et regarda de nouveau Clay.) Oui, oui, bien sûr que c’est vous. J’aurais dû vous reconnaître aussi, mais… (Il ferma les yeux et frissonna.) Dieu tout-puissant, mon pauvre cœur ! Quand je vous ai vu là-haut, j’ai cru être tombé dans un piège, je vous ai pris pour une de ces… (Nouveau frisson.) créatures.

— Quelles créatures ? demandai-je.

— Ces… Ces…, balbutia-t-il, comme s’il n’arrivait pas à trouver le mot juste. L’homme et la femme. Ils… (Il inspira profondément, en tremblant.) Je suis désolé. Accordez-moi juste un peu de temps.

Il souleva la main. La lame de son couteau brilla au soleil. Clay s’accroupit de nouveau, prêt à sauter. L’homme faillit tomber à la renverse et leva les bras comme pour repousser Clay.

— N… non. Je ne vous veux aucun mal. Je vous en prie…

— Jetez votre couteau, ordonna Clay dans un grondement presque inintelligible.

— Mon… ? (L’homme regarda sa main.) Oh, oh, oui, bien sûr ! Je suis désolé. (Il se baissa pour poser le couteau, puis laissa échapper un petit rire nerveux.) Je comprends votre méfiance. Je sais qu’ils traquent votre femme, ce qui ne doit pas être très agréable. (Son regard glissa vers mon ventre.) Surtout dans son état si délicat. Mais je crois… (Il déglutit.) Enfin, j’espère pouvoir vous aider.

— Ça ne nous intéresse pas.

En voyant Nick et Zoe approcher, je constatai que j’avais mal évalué la taille du bonhomme, compte tenu de notre position surélevée. Il n’était pas beaucoup plus grand ni plus épais que Zoe.

Celle-ci s’arrêta et le regarda en penchant la tête de côté, comme s’il l’intriguait. Nick se trouvait sous le vent, alors je lui fis signe de renifler l’air. Il le fit – deux fois – puis secoua la tête.

— Bonjour, dit l’homme en les saluant d’un signe de tête. Je parlais justement à vos amis. Je vous ai vus ensemble tout à l’heure. Je vous ai suivis. Enfin, je la suivais, elle, cette… créature. La femme. Elle m’a conduit jusqu’à vous et je vous ai suivis jusqu’à ce bâtiment dans l’espoir de pouvoir vous parler. Mais, avant que j’aie pu y entrer, l’autre m’a barré la route.

— Quel autre ? demandai-je.

— L’homme. Son partenaire. Il m’a vu et… (Il déglutit péniblement en fouillant le chantier du regard.) Je me suis caché et j’ai cru l’avoir semé. Puis, j’ai entendu du bruit. J’étais prêt à m’enfuir quand je vous ai vus.

— Qui êtes-vous ? lui demandai-je.

Clay grogna pour me dire de ne pas lui parler. Je me penchai vers lui et chuchotai : « Ce n’est pas un zombie. » L’expression sur le visage de Clay resta la même.

— Je m’en fous.

— Je ne suis pas l’un d’eux, expliqua l’homme, avant d’hésiter. Ou plutôt devrais-je dire, je ne crois pas l’être. Tout ça est si… (Il secoua brusquement la tête.) Peu importe. Je m’appelle Matthew Hull et, oui, je suis bel et bien sorti de ce… je ne sais pas ce que c’était. J’aurais bien besoin de votre aide et je vous propose la mienne en échange.

Je jetai un coup d’œil à Clay, mais il dévisageait Hull comme s’il pouvait lire dans ses pensées et découvrir ses intentions.

— Je peux vous offrir sur la situation un point de vue que vous n’avez sans doute pas et que vous ne trouverez probablement nulle part ailleurs. Un témoignage de première main, si vous préférez.

Le regard scrutateur de Clay mettait Hull mal à l’aise, visiblement. Il dansa d’un pied sur l’autre, jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de Zoe et de Nick, puis fit un pas de côté, comme pour se ménager une sortie.

— On devrait peut-être discuter dans un endroit plus… fréquenté, dit-il. On est passés devant un parc au sud d’ici. Quand je vous suivais. Apparemment, la route en fait tout le tour.

— Queen’s Park, dis-je tandis que Clay bandait ses muscles, prêt à sauter. D’accord, mais on connaît quelqu’un d’autre qui aimerait bien vous parler, et il n’est pas là pour le moment, alors laissez-moi l’appeler…

Je sortis mon portable de ma poche. Une distraction passagère qui fonctionna mieux que je m’y attendais car l’homme me dévisagea d’un air perdu en me voyant amener le téléphone à mon oreille. C’était l’occasion parfaite pour que Clay le maîtrise. Comme il ne bougeait pas, je me tournai vers lui et vis qu’il fixait un point à l’autre bout du chantier. Je suivis son regard et aperçus un homme contournant une benne sur la pointe des pieds. Je ne voyais pas son visage, mais je reconnus sa silhouette et sa démarche, légèrement courbée. L’autre zombie.

En contrebas, Hull remarqua que quelque chose avait détourné notre attention. Je fis signe à Nick pour lui demander de poursuivre le zombie et de nous laisser Hull. Nick s’éloigna discrètement. Zoe hésita et me lança un coup d’œil comme pour me demander quoi faire. Voyant que je ne lui donnais pas d’instructions, elle suivit Nick. L’homme les regarda partir.

— Elles… elles sont encore là, n’est-ce pas ? balbutia-t-il. Ces… créatures. Peut-être devrais-je vous laisser vous en occuper…

— Ne bougez pas, ordonna Clay.

— On peut toujours se retrouver dans le parc, dit Hull en cherchant du regard l’issue la plus dégagée. Disons au crépuscule ? À l’extrémité nord ?

Clay sauta juste au moment où Hull s’élançait. Une seconde plus tôt, il aurait atterri directement sur lui. En l’état, il toucha le sol à cinq mètres environ de l’homme qui courait déjà. Alors que j’avançais pour sauter à mon tour, le bout de ma tennis accrocha un clou saillant. À n’importe quel autre moment, ça m’aurait simplement valu une chute humiliante et une récupération rapide tandis que Clay se serait éloigné en courant, m’obligeant à le rattraper. Mais dès qu’il vit mon ombre tituber, Clay s’arrêta et fit volte-face en tendant les bras comme si j’étais sur le point de tomber de la remorque tête la première.

— Tout va bien, dis-je. Vas-y !

Il hésita, jusqu’à ce qu’il constate qu’effectivement, j’allais bien. Puis, il continua la poursuite, mais plus lentement, comme si cet incident lui avait rappelé quelles étaient ses priorités. Tandis que l’écart se creusait entre Hull et lui, je compris que la seule manière de lui mettre la main dessus était de rattraper Clay – et vite. Je me concentrai donc sur le fait d’oublier les dix kilos que j’avais sur l’estomac et la sueur ruisselant dans mes yeux.

Je m’apprêtais à piquer un sprint lorsque quelque chose jaillit de derrière un tas de bois. Du coin de l’œil, j’aperçus seulement de la fourrure marron, et mon cerveau me hurla « loup ! » Je reculai si vite que je trébuchai et tombai lourdement sur le derrière. Je gémis en sentant la secousse se répercuter dans tout mon ventre. Je me repliai brutalement dans une position semi-fœtale pour protéger la vie que je portais.

Quelque chose me heurta l’épaule, et des dents accrochèrent mon tee-shirt. Clay poussa un grondement étranglé. J’entendis l’animal qui s’accrochait à mon épaule émettre un couinement aigu de rage, puis il y eut le bruit sourd d’un corps heurtant du bois. Je captai alors l’odeur de mon agresseur et je compris de quoi il s’agissait avant même de me retourner pour le découvrir mort à côté d’un tas de planches.

— Un rat ? m’exclamai-je. En plein jour ?

— Elena ? dit Clay d’une voix étrangement calme, avec cette même note étranglée que lorsqu’il avait grondé un peu plus tôt. Ne bouge pas. S’il te plaît, ne bouge surtout pas.

Je voulus lui demander pourquoi, puis je me dis que parler revenait probablement au même que bouger. Au lieu de quoi, je suivis le regard de Clay vers le haut du tas de planches à côté de moi. Là, perchés au sommet, se trouvaient quatre rats qui me dévisageaient. Ils avaient la gueule ouverte et leurs incisives inférieures étaient apparentes. La fourrure sur leur front était aplatie et leurs oreilles penchées vers l’avant. Ils laissaient échapper de courts sifflements, ainsi qu’un couinement, de temps en temps. Ce n’était vraiment pas une attitude accueillante.

Le regard de Clay glissa de l’autre côté de moi, à l’endroit où je me souvenais d’avoir aperçu un tas de briques. Je ne pouvais pas regarder dans cette direction sans bouger, mais un vent de travers m’apporta l’odeur pestilentielle d’autres rats, et je compris que j’étais cernée.

J’essayai de me détendre, en me rappelant que, aussi méchants que puissent être les rats, même une dizaine d’entre eux n’étaient pas de taille à lutter contre deux loups-garous. Mais le vent m’apporta également une autre odeur – celle de la maladie qu’on avait flairée sur les rats de l’entrepôt.

Des rats malades. Dehors, en plein jour, quand leurs congénères recherchaient normalement un abri. Et qui faisaient face de manière agressive, non pas à un simple humain, mais à un loup-garou.

Les rats commencèrent à claquer et à grincer des dents. Leurs incisives semblables à des aiguilles brillaient au soleil et leurs yeux étincelaient de rage – comme si la maladie les avait rendus fous et que seules de rares bribes de bon sens les empêchaient de me sauter dessus. En les regardant siffler et couiner, je compris que ces dernières bribes se raréfiaient et s’apprêtaient à disparaître.

J’évitai de regarder Clay, de peur que la panique dans mes yeux le fasse paniquer lui aussi. Il essayait de trouver un moyen de me sortir de là et n’avait pas besoin de distraction.

— Avance tout doucement vers moi, dit-il d’une voix à peine plus forte qu’un murmure. Quand tu seras suffisamment proche, j’attraperai tes pieds et te tirerai hors de leur portée. Il faut juste que tu bouges très, très lentement.

Avant ça, il fallait que je pose les mains sur le sol. Je détestais l’idée de découvrir mon ventre, mais c’était la seule chose à faire si je voulais avancer. Je commençai par la main gauche en la glissant doucement en direction du sol. Le plus gros rat se précipita au bord du tas de bois.

Je me figeai, le cœur battant à tout rompre. Je savais qu’ils allaient sentir ma peur et je m’efforçai de la contrôler. Le gros rat commença à aller et venir au bord de la pile, comme s’il cherchait à résoudre le conflit entre l’instinct qui lui disait de fuir et celui qui lui disait d’attaquer. Derrière lui, les autres se bousculaient pour se mettre en position. Le cliquetis aigu des griffes sur le bois soulignait leurs claquements de dents et leurs sifflements. Deux autres rats les rejoignirent.

— Clay ? chuchotai-je. Ça ne va pas mar…

— Je sais.

— Si je saute et…

— Non.

— Il le faut. Ils vont bientôt attaquer. Si tu me couvres…

— Ils attaqueront avant même que tu aies les mains par terre.

— Peut-être que si je me levais d’un bond…

Mais je savais déjà, en disant cela, que c’était impossible. Mon ventre était trop encombrant pour que je saute en partant d’une position assise sans l’aide de mes mains.

— Il faut… (Ma gorge se serra et je déglutis avant de recommencer.) Il faut juste que je bouge très vite. Que je pose les mains par terre et…

— Clay ! (Le chuchotement un peu fort de Nick résonna sur le chantier.) Te voil… (Il s’immobilisa à côté de Clay.) Putain de merde !

Il lança un regard perplexe à Clay, comme pour lui demander « Qu’est-ce que t’attends pour réagir ? », puis il bondit. La main de Clay s’abattit au centre de sa poitrine pour le stopper.

— Si tu leur fais peur, ils vont attaquer.

— Qu’est-ce…, dit Zoe en arrivant derrière Nick. (Puis elle me vit.) Seigneur Dieu ! Ne bouge pas. Ils doivent avoir la rage.

— Non, c’est autre chose, répondit Clay. Une maladie due au portail. Elena ? Je vais sauter au milieu de la zone. Quand ils se jetteront sur moi, sors de là.

Je jetai un coup d’œil aux rats en train de faire les cent pas. Le plus gros était toujours perché au bord, comme s’il évaluait la distance vers mon ventre, tout en faisant claquer ses mâchoires chaque fois que les autres le bousculaient.

— Elena ? dit Clay. Tout ira bien. Je peux encaisser quelques morsures de rat. Il vaut mieux moi que toi en ce moment.

J’hésitai, puis hochai la tête. Clay se baissa lentement jusqu’à se retrouver à moitié accroupi, prêt à bondir. Puis, quelque chose heurta son épaule. C’était Zoe, qui le poussa hors de son chemin. Avant que quiconque ait pu réagir, elle courut vers moi.

— Cours ! me cria-t-elle.

Le roi des rats sauta, et les autres l’imitèrent dans une véritable vague de fourrure marron. L’un heurta mon flanc, un autre sauta sur ma tête, ses griffes se prenant dans mes cheveux tandis qu’il s’efforçait de trouver une prise. Mais, j’étais déjà debout et je courus droit devant moi. Clay me tira de là et me passa à Nick, puis s’élança à son tour.

Je me retournai et découvris Zoe couverte de rats. Il y en avait au moins six, suspendus à ses bras et à ses vêtements tandis qu’elle se secouait en tous sens pour essayer de se libérer. D’autres l’attaquèrent depuis le sol en se jetant sur ses jambes. Clay donna un coup de pied à l’animal le plus proche, et j’entendis des os se briser. Puis, il en attrapa un sur Zoe et le jeta violemment dans le tas de briques.

Nick m’écarta du danger, puis courut aider les deux autres. Les rats se dispersaient déjà en sifflant et en couinant. Nick arracha le dernier du dos de Zoe. Le rat se contorsionna pour le mordre, mais le poing de Clay le fit voler hors de la main de Nick. Il tomba sur le sol et mourut en se convulsant.

Je me hâtai de les rejoindre. Tremblante, une lueur affolée au fond de ses yeux écarquillés, Zoe examina son corps.

— Ils… Ils sont partis, hein ? dit-elle en claquant des dents. Oh, mon Dieu. C’était…

Elle se frotta les bras tandis que les morsures guérissaient.

— Merci, lui dis-je.

Elle esquissa un faible sourire.

— Tu parles d’un sacrifice. Donne-moi deux minutes et je serai comme neuve. Mes plaies guérissent toutes seules et je ne peux pas attraper la maladie dont ils sont porteurs. En revanche, ces fringues sont bonnes pour la poubelle, maintenant.

— On dirait qu’ils n’ont rien déchiré, fit remarquer Nick.

— Ce n’est pas grave. Elles vont quand même finir à la poubelle. (Zoe croisa les bras autour de son corps et frissonna, puis se secoua.) Bon, eh bien, maintenant que je vous ai montré que je suis une vraie poule mouillée… (Elle balaya d’un geste nos protestations.) J’ai une grande gueule, mais je suis nulle comme prédatrice.

Elle regarda Clay.

— Merci. Je sais que tu voulais juste les faire déguerpir avant qu’ils s’en prennent à Elena, mais merci quand même. Dix secondes de plus et j’allais vous faire mon imitation de Jamie Lee Curtis et hurler comme une vraie chochotte.

— Moi, je n’aurais tenu que cinq secondes, dis-je. Des rats psychopathes. C’est une première pour moi. Le virus dont ils sont porteurs doit les… (Je m’interrompis et relevai brusquement la tête.) Clay ? Nick ? Ils vous ont mordus… ?

Clay leva la main pour m’interrompre en me voyant me précipiter vers lui, prête à l’examiner moi-même.

— Ils n’ont eu que Zoe. (Puis il jeta un coup d’œil à Nick en fronçant les sourcils.) Et toi ?

— Tu ne m’en as laissé aucun, tu te souviens ? Je me suis encore fait avoir.

— Si, je t’en ai laissé un.

— Que tu as tué.

— Vous êtes sûrs que tout le monde est indemne ? intervint Zoe. Je sens l’odeur du sang.

Clay leva le bras pour vérifier son pansement de fortune. Il était trempé de sang.

— Merde. C’est ça qui a dû attirer les rats.

— Donne, dis-je, laisse-moi…

Il me repoussa d’un geste.

— Il me reste encore quelques bandes sur ce tee-shirt. De ton côté, essaie de retrouver une piste. Je suppose que, si Nick est revenu vers nous, c’est qu’il a perdu le zombie, pas vrai ?

Nick hocha la tête.

— Oui, et Zoe aussi, alors on est venus chercher Elena pour voir si elle arrivait à retrouver la piste. Il y a du goudron là-bas et je n’arrive pas à choper une seule odeur à part celle-là. Où est…

— On l’a perdu aussi, marmonnai-je. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, tu parles ! Allez, venez.

On venait juste de dépasser la remorque quand Clay releva brusquement la tête et regarda vers le nord. Une seconde plus tard, on entendit des pas de course résonner à travers le chantier. Un jeune homme vêtu d’un uniforme de la sécurité apparut au coin du bâtiment, un sandwich à la main. Le gardien, de retour à son poste en espérant que personne n’avait remarqué son absence.

Clay jura. Zoe se rapprocha de Nick et nous fit signe de nous diriger vers la route. Le garde nous vit et ouvrit la bouche comme pour nous héler. Zoe lui fit un petit signe, puis prit Nick par le bras et désigna la route. On était juste deux couples ayant pris un raccourci à travers un chantier désert. Le garde hocha la tête et nous fit signe d’y aller. On allait devoir retrouver la piste hors du chantier.

Logiquement, il devait y avoir non pas une seule, mais trois pistes – celles de Rose, de l’homme au chapeau melon et de Hull. Mais on ne réussit pas à les retrouver.

Deux fois, je détectai cette odeur de pourriture qui me disait que l’un des zombies était passé par là, mais je ne réussis à la suivre que sur quelques mètres avant que d’autres effluves brouillent tout. Hull était encore plus difficile à repérer, étant donné qu’il ne possédait pas cette odeur particulière de zombie. Il nous avait peut-être raconté des bobards, mais s’il était bel et bien sorti du portail, ça expliquait pourquoi on n’avait pas détecté son odeur sur le site.

Au bout de vingt minutes de recherches, je m’aperçus que le sang qui coulait de la plaie de Clay venait de tremper un troisième pansement. On décida – ou plutôt j’insistai, et Nick se rallia à mon point de vue – de ramener Clay à l’hôtel afin que Jeremy puisse l’examiner.

Comme on ne voulait pas rentrer en laissant une piste sanglante derrière nous, on s’arrêta dans une ruelle pour changer une quatrième fois le pansement. J’en profitai pour appeler Jeremy, lui dire que la livraison attendue n’aurait pas lieu et lui demander de retourner attendre Clay à l’hôtel.

— Encore un tee-shirt foutu, me dit Clay en me tendant les restes du vêtement.

— Tiens, tu n’as qu’à utiliser le mien, proposa Nick.

— Non, regarde, le mien est déjà bon pour la poubelle.

Tout en déchirant une bande pour faire le pansement, je ne pus m’empêcher de remarquer la façon dont Zoe nous… scrutait. Tous les trois, on se tourna vers elle, perchée sur une benne à ordures, penchée vers Clay, le regard fixé sur son bras ensanglanté.

— La réponse est non, dit Clay. Ouais, je sais, c’est du gaspillage, mais ce n’est pas l’heure du goûter, alors arrête de baver.

— Ah, ah, ah. Je me demandais juste si je devrais t’offrir mon aide.

— En suçant le reste ?

— Non, en bavant dessus. Tu dois y être habitué, professeur, avec toutes ces étudiantes qui doivent baver en te voyant. (Elle sauta à bas de la benne.) Dans ce cas précis, je parie que tu apprécieras plus que d’habitude. Je pourrais stopper le saignement.

— Comment ? demandai-je.

— La salive de vampire arrête les hémorragies. Ça évite que notre dîner se vide de son sang une fois qu’on a fini de se nourrir. Je peux le faire là, tout de suite.

— Est-ce que j’ai vraiment envie de savoir comment ? dit Clay.

— Normalement, il suffit de lécher la zone blessée, mais je sais très bien qu’on n’en a aucune envie, tous les deux, alors puis-je suggérer une discrète expectoration sur ce pansement ?

J’interrogeai Clay du regard. Il hocha la tête, grommela un remerciement, et je tendis le pansement à Zoe.

La salive de Zoe fonctionna à merveille. Dix minutes plus tard, tandis qu’on descendait Bay Street, le pansement de Clay était toujours blanc. Mais s’il ne se promenait plus en centre-ville avec un pansement plein de sang, il n’en restait pas moins torse nu. À chaque coup de Klaxon ou chaque sifflet admiratif, Clay enfonçait un peu plus ses mains dans ses poches et il reculait un peu plus loin dans l’ombre des auvents des magasins.

On cherchait un taxi depuis notre départ du musée mais, comme tout le reste de la population, ils semblaient avoir pris leur journée.

— Moi aussi, je pourrais enlever mon tee-shirt, proposa Nick.

— En voilà une idée ! s’exclama Zoe. Attends, laisse-moi sortir mon crayon à lèvres et écrire « RDV au Remington » sur votre dos. (Elle sourit d’un air malicieux.) Je parie qu’il y aurait foule là-bas ce soir, malgré le choléra.

— Garde ton tee-shirt, grommela Clay.

Zoe me regarda.

— On pourrait enlever le nôtre, nous aussi, par solidarité. C’est légal, ici.

— Vraiment ? s’écria Nick, tout ragaillardi. Comment ça se fait que je n’ai pas vu une seule femme seins nus depuis mon arrivée ?

— Parce que, en dehors des plages et des concerts, tu n’en verras sans doute pas. Et si jamais ça arrivait, ce ne seraient probablement pas des femmes que tu aurais envie de voir seins nus. Chaque fois que j’en vois une, je remercie Dieu pour la jeunesse éternelle. Mais, malgré tout, c’est légal. (Elle me lança un regard entendu.) Alors, si tu veux enlever le haut…

— Crois-moi, ces temps-ci, je fais partie de ces femmes que personne ne veut voir seins nus.

— Moi, je ne m’en plaindrais pas.

Elle fixa les yeux sur Clay comme si elle attendait une réplique. Il se contenta de se retourner pour regarder un taxi prendre le virage sur les chapeaux de roue et jura en constatant qu’il était plein.

— Tu ne vas même pas mordre à l’hameçon, pas vrai, professeur ? soupira Zoe.

— Si, montre-moi l’hameçon et je mordrai.

— Oh, oh. Alors tu crois que juste parce que je suis une femme…

— Je ne pensais pas du tout à ça. Je m’en fous.

— Bon, tu es peut-être le plus beau de nous deux, pour l’instant, mais n’oublie pas qui restera éternellement jeune. Dans quelques années, tes tablettes de chocolat ressembleront plutôt à de la brioche.

— Ouais, sûrement.

Nouveau soupir. Zoe s’apprêtait à dire quelque chose quand un trio de jeunes femmes reluqua Clay et passa à côté en riant nerveusement.

Je désignai un magasin de souvenirs avec un présentoir plein de tee-shirts pour les touristes dans la vitrine.

— Tu en veux un ?

— S’il te plaît.

— Je n’ai pas pu résister, dis-je en lui tendant le vêtement.

Il le déplia et se mit à rire. Il était écrit « Venez à Toronto pour grogner de plaisir » au-dessus de l’image d’un loup mutant avec des crocs aussi gros que des défenses de morse. Un souvenir typique – peint dans un pays lointain par un type qui n’avait jamais vu de loup, mais qui était convaincu qu’il devait y en avoir des tonnes à Toronto, courant en compagnie des Inuits, des élans et des ours polaires.

Clay l’enfila d’un coup d’épaules.

— De quoi j’ai l’air ?

— C’est affreux, répondit Zoe.

Nick agita son index sous mon nez.

— Tu le regretteras quand il le portera encore dans cinq ans.

— Ça t’embêtera plus que moi. (Je plongeai la main dans le sac plastique et en sortis des barres chocolatées.) J’ai entendu des estomacs gronder.

Je sortis également une bouteille d’eau pour Zoe.

— Ah, fraîche comme je l’aime, dit-elle en la prenant. Tu es un amour. Quel gâchis, soupira-t-elle en jetant un coup d’œil à Clay.

— Ouais, c’est sacrément dommage, hein ? dit ce dernier, la bouche pleine de chocolat.

— Criminel, même.

À l’hôtel, on laissa Nick et Zoe dans le salon. À l’étage, Jeremy sortit la tête de la chambre pratiquement dès qu’on posa le pied hors de l’ascenseur.

— Vous voilà ! s’exclama-t-il. J’allais partir à votre recherche !

— C’est juste une égratignure, protesta Clay.

Jeremy nous fit entrer dans sa chambre et désigna le lit. Il enleva le pansement avant même que Clay ait fini de s’asseoir. Il fronça les sourcils, puis se tourna vers une bassine d’eau tiède déjà prête et en sortit un linge qu’il essora avant de nettoyer soigneusement le sang. Son front se plissa encore plus lorsque la plaie fut propre.

— On dirait effectivement que c’est…

— Juste une égratignure ? le coupa Clay. Je vous l’avais dit.

— Mais pourquoi est-ce que ça saignait autant ? demandai-je en me rapprochant pour mieux voir.

— L’égratignure est profonde, expliqua Jeremy. Apparemment, elle a ouvert une veine.

Clay me regarda.

— Là encore, j’avais raison. Je suis un génie.

— Non, rétorqua Jeremy. Mais tu as été blessé si souvent que tu ne peux pas ne pas reconnaître les signes.

— Et en ce qui concerne… (Je marquai une pause, avant d’expliquer :) C’est Rose qui lui a fait ça.

— Elena s’inquiète à propos de la syphilis, dit Clay.

Jeremy secoua la tête.

— Il ne faut pas. À moins que Rose ait mordu Clay, la syphilis n’est pas à redouter.

Jeremy nettoya la blessure comme il fallait, puis appliqua un vrai pansement et me demanda de le prévenir si ça recommençait à saigner ou si ça gênait Clay. Pas la peine de s’adresser à l’intéressé ; pour lui, tant que le bras était encore attaché au reste de son corps, tout allait bien.

Après ça, Jeremy et moi, on respira plus librement, et je pus lui raconter ce qui était arrivé au musée.

— Les zombies ont pigé notre plan, dis-je en guise de conclusion.

Jeremy hocha la tête.

— Ce qui signifie que nos chances d’en attraper un sans nous mettre en danger diminuent rapidement. Il est temps de faire une pause de ce côté-là pour se concentrer sur Shanahan.

— Je vais parler à Zoe. Peut-être qu’elle nous donnera plus d’infos sur lui, maintenant. (Je me retournai et vis Clay prendre le tee-shirt pour touristes.) Attends. Je vais aller chercher un des tiens.

— J’aime bien celui-là.

Je levai les yeux au ciel avant de l’aider à l’enfiler.

— Quand à ce Hull, son maniérisme me fait dire qu’il est bien ce qu’il prétend être, un réfugié du portail victorien, mais Clay pense qu’il bosse pour le contrôleur et que c’est peut-être un acteur engagé pour nous approcher.

— Ça expliquerait sa présence sur le chantier, renchérit Clay. C’est plus plausible que son histoire de suivre les zombies.

— Alors, qu’est-ce qu’on fait pour ce rendez-vous dans le parc ? demandai-je à Jeremy.

— Laissez-moi y réfléchir. Pour l’instant, retournez voir Zoe.

On se dirigea vers la porte.

— Oh, Elena, reprit Jeremy. Anita Barrington ne t’aurait pas appelée, par hasard ?

Je vérifiai mon portable, puis secouai la tête.

— Elle m’a appelé ici, à l’hôtel, expliqua-t-il. Elle dit avoir déniché une histoire qui nous intéressera sûrement. Je l’ai rappelée et je lui ai laissé un message en lui demandant d’appeler sur ton portable ou sur celui d’Antonio, mais elle ne l’a pas encore fait…

— On ira faire un tour dans sa boutique après avoir parlé à Zoe.

On avait le salon pour nous tout seuls, si bien que ce n’était pas la peine de chercher un endroit pour parler en privé.

J’expliquai nos soupçons à propos de Shanahan et pourquoi il fallait qu’on le retrouve.

— Patrick Shanahan dans le rôle du dément contrôleur de zombies ? dit Zoe en haussant ses sourcils bien dessinés.

— Dément… c’est discutable, répondis-je. Mais la partie « contrôleur de zombies » semble coller. Quant à savoir pourquoi il les contrôle ou pourquoi le portail se trouvait dans cette lettre ou ce qu’il espère gagner en la récupérant, on travaille encore dessus.

— Côté mobile, j’ai toujours eu un faible pour l’envie de dominer le monde. Ou peut-être qu’il veut juste dominer la métropole. Patrick n’a jamais été du genre à voir grand. Il ne m’a jamais semblé non plus du genre à se transformer en roi des zombies, mais je ne peux pas dire que je le connaisse bien. On entretient des relations purement professionnelles, et sporadiques avec ça. La plupart de mes boulots pour la famille, je les ai faits pour son grand-père, et il n’était pas très copain non plus avec les employés.

— Ce qui signifie que tu ne vas pas pouvoir nous donner beaucoup d’infos sur Shanahan.

— Quasiment pas. Mais je connais quelqu’un qui pourrait vous aider. Un client, Randall Tolliver. Il a grandi avec Patrick.

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